Avant, j’étais stressée. Mais ça, c’était avant.
L’anxiété a fait une entrée fracassante dans ma vie il y’a quelques années.
Posons les bases: j’ai toujours été d’un naturel stressé, la tête farcie de “et si”, “j’aurais du”, “pourquoi?”, “aaaah mais pourquoaaa???”. La pro de la suranalyse, chaque situation de vie étant une excuse parfaite pour décortiquer, digérer et recracher la vague incessante de pensées qui me traversent sans jamais le moindre répit. (Un psy m’a dit un jour, il y’a très très longtemps, que j’avais comme “un petit vélo qui ne s’arrête jamais dans la tête”. Mec, si tu savais: c’est pas un vélo, c’est un peloton entier de cyclistes dopés aux stéroïdes pendant le tour de France).
La meuf qui trouve une réplique cinglante à une mauvaise remarque qui date du 5 aout 2006? C’est moi.
La meuf qui hésite 8 semaines sur le site de Junique parce qu’elle sait pas quelle affiche choisir et qu’elle a l’impression d’y jouer sa vie? Re-moi.
J’étais stressée, donc, mais c’était pas si grave.
Et puis le deuil périnatal est arrivé dans ma vie. Et avec lui, mes premières crises d’angoisse.
Deuil périnatal, grossesses d’après, et terreur pure.
Je crois qu’il est presqu’impossible de décrire la terreur pure qui s’empare de vous à l’annonce d’un diagnostic prénatal réservé.
Celui qui a été posé sur Maya, lors de l’échographie du deuxième trimestre, a cassé quelque chose en moi. L’insouciance, la foi en de beaux lendemains. La confiance, aussi.
Après cette annonce, après la naissance et la mort simultanées de Maya, mon rapport à la mort et à la vie n’a plus jamais été le même.
Parce que, si les bébés peuvent mourir in utero, qui suis-je pour oser survivre?
J’ai affronté ce premier deuil dans une solitude accablante, puis vécu la grossesse de ma fille, l’année d’après, dans un état de panique permanent. Neuf mois de paralysie totale, en apnée. Neuf mois à tout analyser - chaque aliment, chaque moment de vie, chaque mouvement foetal potentiellement suspect. Neuf mois de pure torture psychologique. Avec, en bonus, un entourage totalement dépassé, et incapable de me rassurer.
“Y’a pas de raisons, cette fois c’est la bonne”.
Mais depuis quand la mort a t-elle besoin d’une raison pour tuer?
J’ai ensuite enchainé sur une seconde mort foetale à 5 mois de grossesse, puis sur une PMA à l’étranger, suivie d’une fausse-couche à 3 mois et des brouettes.
Le tout, en moins de 6 ans.
J’ai développé un stress post-traumatique suite à cette fausse-couche, et je suis devenue hypocondriaque. Enchainement somme tout assez logique suite à un parcours maternité pas spécialement folichon, convenons-en. Faut dire qu’on aura rarement autant côtoyé la mort à force de vouloir donner la vie.
J’ai parfois l’impression que ces moments de terreur, vécus pendant mes grossesse, se sont imprimés durablement. Je ne suis plus enceinte, je ne prévois plus de l’être, mais j’ai peur. En permanence.
Et je lutte depuis maintenant 3 ans contre cette anxiété qui me pourrit le quotidien.
Maintenant, je suis anxieuse. Trop.
Je me lève chaque matin, en me préparant au pire. Je lutte chaque soir pour réussir à m’endormir. Entre chaque, les mêmes questions qui reviennent en boucle: “et si cette toux était mauvais signe”, “et ce mal de tête, il est suspect, non?”, “il faudrait que je retourne faire examiner mes grains de beauté”.
Encore, et encore, et encore. Et encore.
Je suis convaincue que je vais mourir - vous me direz, je n’ai absolument pas tort sur ce point (on peut m’accuser de beaucoup de choses, mais pas d’avoir séché mes cours de sciences nat). Le problème, c’est que je suis convaincue que je vais mourir demain. Ou dans 6 mois, tout au plus. Que chaque visite chez le médecin m’annoncera une maladie incurable me condamnant à une lente mais courte agonie. Qu’il est déjà trop tard.
Cette certitude culmine lors de crises d’angoisses absolument débilitantes. Les pensées surviennent comme un murmure, à tout moment de la journée - sous la douche, en amenant ma fille à l’école, en pleine réunion. Le murmure devient rumeur, la rumeur grandit en cri. Mes membres s’engourdissent, le monde devient irréel, mon rythme cardiaque s’accélère, je sens mon corps se refroidir: je vais mourir, là, dans pas longtemps. La crise s’achève dans un court épisode de dissociation, mais l’angoisse ne disparait jamais. Elle reste tapie, en attente de la prochaine crise.
Au plus fort de mon burn out, il y’a un an, je pouvais enchainer plusieurs crises par jour.
C’est épuisant psychologiquement, de quoi vous donner envie d’en finir pour de bon, histoire que le film s’arrête.
Avant, quand j’entendais parler d’anxiété, je ne me rendais pas compte. On s’imagine que les personnes souffrant d’un trouble anxieux sont juste un peu stressées. Qu’il suffit d’aller au spa pour se détendre un peu. Moi, je suis capable de vous faire une crise d’angoisse pendant le spa, parce que l’esthéticienne aura utilisé un outil dont je vais me demander pendant l’intégralité de la séance s’il a bien été désinfecté.
Le meilleure remède à cela, je crois que c’est encore l’humour. Tant que je parviens à rire de mes angoisses, je me dis que tout n’est pas fichu. Alors je ris de moi quand j’ai envie de sauter par la fenêtre parce que la peur de mourir me rend folle. Je relativise, je regarde ce qu’il y’a de beau dans ma vie, je pratique la gratitude. Je me rends bien compte que je suis plutôt bien lottie en vrai, et que ma capacité à le savoir est un bonus. J’ai l’impression qu’on est souvent aveugles face à sa propre chance, alors j’essaie de travailler là dessus.
J’ai aussi du revoir mon hygiène de vie, de façon assez radicale, et ces premiers efforts portent enfin leurs fruits - plus de sucre rapide, plus de café, le tout sans devenir folle. On en reparlera une prochaine fois, quand j’aurais plus de recul.
Il n’ y a pas de conclusion particulière à cette newsletter. Juste l’envie de vous raconter ce qu’est le quotidien d’une personne souffrant d’une anxiété sévère. Et ce qu’un trauma, comme le deuil périnatal, peut faire à notre cerveau.
Le deuil périnatal m’a cassé le cerveau. Mais je garde encore l’espoir de le réparer.
Si vous connaissez quelqu’un souffrant d’anxiété, j’ai envie de vous dire de ne pas l’ignorer, de prendre de ses nouvelles. L’anxiété, c’est comme le manque d’oxygène, on peut avoir l’impression de se noyer quand elle est là.
Prenez soin de vous (et, faites-moi plaisir: n’allez jamais sur Doctissimo. Vous y allez parce que vous avez mal au ventre, vous en ressortez en pensant avoir un cancer du pouce gauche).