J’ai souvent expliqué sur mon compte Instagram que renoncer à avoir un autre bébé (vivant) avait été une décision immensément difficile. Ce que je n’ai jamais raconté, ce sont les coulisses de cette décision.
J’imagine que, vu de l’extérieur, renoncer doit sembler plutôt simple. Ils se sont rencontrés, se sont aimés, ont essayé d’avoir un bébé, ça n’a pas marché. Ils ont alors décidé de vivre heureux même sans beaucoup d’enfants et ne l’ont jamais regretté. Fin.
Il existe en réalité autant de raisons de renoncer que de couples. Autant de chemins de renoncement que d’individus. Je dis souvent à mon psy que, si l’on me promettait que de retomber demain enceinte d’un bébé qui aurait une chance de naitre vivant, alors je signerais tout de suite. Malgré les nausées, les kilos en trop, les interminables mois d’attente et la terreur que tout se termine sans aucune raison. Ce ne serait même pas une question, juste une évidence. J’adore être mère, c’est un rôle dans lequel je me sens pleinement épanouie, complète, alignée.
Mais la nature et la génétique en ont décidé autrement. Je suis la très heureuse maman d’une petite fille merveilleuse qui fêtera bientôt ses 8 ans. J’ai aussi eu 2 autres bébés décédés à 6 mois de grossesse, et une fausse-couche dite “tardive”, après une PMA à l’étranger.
Pour devenir mère de plusieurs enfants, je crois avoir légalement littéralement tout essayé.
Ce qui ne vous tue pas peut vous abimer méchamment
On dit que ce qui ne tue pas vous rend plus fort, mais pour être tout à fait transparente, ce parcours ne m’a pas fait grandir. Il m’a, au contraire, plutôt abimée. Je suis extrêmement lucide à ce sujet, même si je n’ai aucun regret, puisque je ne suis pas hantée par les “on ne sait jamais”. Je crois que je n’ai plus envie de savoir.
J’ai développé un trouble anxieux, j’ai pris du poids, j’ai mis mon boulot de côté, j’ai fait un burn out. Ma vie actuelle va paradoxalement plutôt bien, mais l’énergie dépensée par ces années d’essai m’ont aussi épuisée. J’ai tout ce dont on pourrait rêver - un mari aimant, une enfant merveilleuse, un appart dans la ville de mes rêves, un job stable, un hobby épanouissant - mais je sais à quel point le fil de mon équilibre est fragile. Une nouvelle grossesse serait sans doute la possibilité d’un autre enfant, oui, tout comme elle risquerait aussi de devenir la grossesse de trop.
Et je ne veux pas basculer. Ma fille, bien vivante, est ma priorité la plus absolue. Je ne veux pas que ma santé mentale vacille et s’interpose dans notre relation. Alors oui, j’ai fait un choix qui, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, n’a rien eu d’évident.
Si je le pouvais, j’essaierais de nouveau
C’est bien simple: ma tête me hurle “arrête” quand mes tripes me commandent de retourner à Barcelone (où, ironie de l’histoire, mon mari travaille partiellement). Le désir d’enfant ne se commande pas, et je crois que c’est l’une des grandes incompréhensions de ceux qui prétendent savoir au point de défiler dans les rues pour dicter aux couples qui serait en droit d’être parents, ou qui lancent des pétitions pour tenter de juguler les avancées de la PMA.
J’aimerais vous dire qu’il m’a suffit de le décider pour l’accepter. Que je ne regarde pas encore parfois ces familles nombreuses au parc avec envie, en me demandant si nous ne privons pas notre fille de quelque chose. Que j’espère de tout mon coeur ne pas être prise d’une immense nostalgie, quand la ménopause frappera à ma porte.
Quand j’ai décidé de tout arrêter, ce n’est pas le soulagement mais un chagrin immense qui m’a envahie. Un chagrin qui m’a, pendant de très longs mois, accompagnée au quotidien. Mon coeur était brisé en milles petites miettes qui s’infiltraient dans chaque moment de ma journée. Je me levais, tous les matins, en pensant à ce que je n’aurais plus. Je me couchais, chaque soir, en me demandant comment avancer le lendemain sans la perspective de redevenir mère. Et, tout au long de ces journées, la question revenait, harcelante:
“Et si tu réessayais?”.
Redevenir Julie
Il faut aussi comprendre d’où je partais au moment de cette décision: devenir mère avait conditionné chacun de mes projets pendant près de 10 ans. Tout était suspendu à ce bébé qui ne venait pas: changer de job (et mon congé mat?), changer de voiture (on prend un Espace?), combien de pièces dans notre nouvel appart (2 ou 3 chambres?), que faire de ces vieux vêtements de grossesse (au cas où…), comment prévoir mes congés annuels dans l’éventualité d’un voyage en Espagne?
Renoncer à une nouvelle grossesse, c’était devoir repartir en quête d’un autre équilibre, d’une autre Julie. Une Julie qui existerait sans être enceinte, ou se préparant à l’être. J’ai du réapprendre à être moi, comme on réapprendrait à marcher.
Oui, le temps aide, mais il ne fait pas tout. La thérapie, dans mon cas, m’a sauvée - même si mon psy est toujours persuadé que je réessaierai d’avoir un bébé avant mes 43 ans.
Aujourd’hui, notre famille a trouvé son équilibre à trois - cinq en comptant les chats.
J’aime me lever plus tard le matin, avoir des sujets de conversation “de grands” au diner, j’aime voir ma fille devenir la personne formidable qu’elle est déjà. J’aime la relation familiale que nous avons tous les trois. Mes amies continuent de tomber enceinte, chaque nouvelle naissance est une piqure de rappel, de moins en moins amère cependant. Je sais aussi que, dans quelques années, les enfants auront grandi, la question ne se posera plus. Je serai libérée.
Une photo de la Sagrada Familia trône dans notre salon, nous avons toujours trois embryons qui nous attendent à Barcelone. Mon mari y continue ses aller-retours, régulièrement- c’est l’éléphant dans la pièce, dont nous nous abstenons de parler trop souvent. La conversation y revient malgré tout, devant une publicité pour couches à la télé, suite à la grossesse d’une connaissance commune. Mais je compte fêter mes 40 ans à la fin de cette année sans avoir à me poser la question de ce que je peux manger ou boire ou du nombre de kilos que j’aurais pris. Et réinvestir pleinement ma carrière.
La porte demeure fermée, du moins pour le moment.
Renoncer dans une société où ne pas réussir à enfanter est assimilé à un échec
J’aimerais m’adresser à toi, qui me lis et ne sait pas si tu parviendras à être de nouveau mère un jour, ou qui viens de décider de renoncer. Je sais que la nature est cruelle, que la science ne fait pas tout. Si ton parcours s’arrête, de gré ou de force, sache que je comprends. Ne plus avoir de bébé, cela m’a fait l’effet d’un immense chagrin d’amour. La rupture a beau avoir été faite d’un commun accord, elle n’en a pas pour autant été moins douloureuse à digérer.
Il est évident que notre société ne nous aide pas à “échouer” dans la maternité. Tout est fait pour nous convaincre depuis l’enfance que nous aurons un bébé (minimum), que nous nous épanouirons dans ce rôle de mère. Il n’y a pas encore beaucoup de storytellings pour nous inspirer quand, parfois, ça ne marche pas, ou pas comme on l’avait envisagé. Pour souligner le fait que se remettre de ces échecs, de nos parcours, cela peut prendre du temps et une volonté impressionnante.
Finalement, puisque l’on célèbre sans cesse celles qui déploient toute leur énergie et leur temps libre à être mère ou à le devenir, peut-être est-il aussi temps de célébrer celles qui ne parviennent pas à l’être et qui décident d’être heureuses malgré tout.
Parce qu’on mérite des fucking médailles.
Prenez soin de vous.
Je ne saurai jamais te remercier pour tes mots. Quand je te li, j'ai comme le sentiment que parfois tu mets les mots sur ce que je ressens. C'est tellement difficile parfois de traduire toutes ces émotions par lesquelles nous traversons. Jai eu la chance d'avoir fait ta rencontre virtuelle. Ça m'a aidé. Merci.